"Le Passager", votre premier long métrage, raconte l'histoire d'un jeune garçon qui feint de se mettre au service d'un autre en le prenant en photo (sans pellicule !) pour satisfaire sa propre envie de voir (un match de football). Peut-on en déduire qu'on filme d'abord et avant tout pour assouvir ses envies personnelles ?
Oui. Je le crois sincèrement.
Cette scène signifie-t-elle qu'il y a pour vous une malhonnêteté inhérente à faire commerce de l'image d'autrui ?
Je ne sais pas. Le cinéaste quel qu'il soit a les mains libres lorsqu'il réalise un film. II peut faire ce qu'il veut, à condition de s'orienter vers un message qui lui paraisse juste. Et il en est seul juge. Je pense de toute façon que tous les cinéastes mentent, sans exception. Mais ce mensonge sert à dire une vérité, une grande vérité ; c'est cela qui est important, et non pas la forme que l'on emprunte pour dire cette vérité.
Comment et à qui ment, selon vous, le cinéaste ?
Pour ma part, je prends différents personnages : un enfant d'un côté, une femme de l'autre, un homme d'un troisième endroit, et je les place dans une maison qui ne leur appartient pas. Même si les acteurs ne vivent pas vraiment ensemble dans cette maison, leur réunion vise à approcher la vérité de la famille. Dans ce style de travail, on peut donc mentir et falsifier les choses pour amener les acteurs au sens que l'on veut donner à une scène, au sentiment précis que l'on recherche. Ce qui est important, c'est que le spectateur, pendant qu'il regarde le film, ne sente pas qu'on lui ment. Ce qui s'est passé sur le plateau, pendant le tournage, ne m'intéresse pas en tant que spectateur. Mais si le cinéaste m'avoue qu'il y a mensonge sans que je puisse déchiffrer comment et où il a menti, alors là je dis « bravo ».
La notion de « réalité » dans votre cinéma implique pourtant aussi une prise en compte de la réalité du regard, du tournage, de l'acteur et du lieu, ce que semblent indiquer dans vos films la mise en évidence du « dispositif », l'exhibition des micros, des perches, des sources d'éclairage, la désignation de l'acteur en tant que tel ou la dénonciation du lieu comme étant faux ou reconstruit !
Ce sont là tous les petits détails qui, assemblés, finissent par constituer un film. Ainsi la lumière n'est-elle pas une donnée fixe. Chaque plan exige un travail spécifique. Dans "Close-Up" par exemple, on explique avant le procès qu'on est en train de faire un film. On demande d'ailleurs au responsable l'autorisation de filmer et d'apporter notre matériel personnel dans l'enceinte du tribunal. La caméra et tous les moyens cinématographiques jouent un rôle déterminant dans le déroulement même du procès. Donc il fallait les montrer. Dans ce cas, la réalité dont vous parliez se donne effectivement à voir au spectateur. Mais, lorsqu'un homme et une femme sont en train de faire l'amour, il n'est pas question de montrer la caméra, la perche ou la lumière. Ce serait horrible de les faire apparaître dans une scène aussi intime. C'est pourquoi je vous ai dit que la « réalité » de chaque scène lui est propre. C'est le contenu de la scène qui définit comment ces éléments doivent être agencés.
Vous pensez que le fait-même de filmer le procès a pu en influencer l'issue ?
Je pense que cela a sans doute beaucoup aidé au dénouement favorable du procès, oui. Le cinéma a d'abord posé un piège à Sabzian, puis il l'a sauvé. Rêver du cinéma l'a conduit en prison. Mais la réalité du cinéma l'a sauvés. Provisoirement...
Vous avez procédé à deux montages de "Close-Up". Quelle est la date et la raison d'être du second montage ?
En réalité, je l'ai monté trois fois. Pour la deuxième version, j'ai, de mon propre fait, un peu raccourci peu le film. Quant au dernier montage, il est né dans une salle, où certaines bobines ont été inversées par mégarde. J'étais à Munich pour le festival. M'apercevant dès le début de l'erreur, j'ai couru à la cabine de projection pour demander que l'ordre du film soit rétabli. Mais c'était trop tard. J'ai donc continué à regarder mon film en l'état et j'ai vu que ce que le projectionniste avait involontairement proposé n'était pas mal du tout. Et, à l'issue de cette projection, j'ai déplacé la scène de rencontre dans le bus - qui, au départ, ouvrait le film -au beau milieu du procès. Entre nous, cette possibilité de réviser le montage ne se présente selon moi que lorsque les films sont soit très, très bons - et même en inversant les bobines, la qualité n'en est pas altérée -, soit au contraire très mauvais. "Close-Up" pourrait donc être soit l'un, soit l'autre...
Est-ce que vraiment tous les « acteurs » du film interprètent leur propre rôle ?
Tous, oui, sauf le chauffeur de l'agence qui joue tout au début et reste à l'extérieur de la maison.
Abbas Kiarostami
(source)
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