mercredi 31 décembre 2014

Les pas de l'eau



Je prête serment sur la vision
Et sur le commencement du verbe
Et sur l’envol du pigeon quittant l’esprit
Un vocable existe dans la cage.
Mes paroles ressemblaient à un coin de prairie ensoleillé.
Je me suis adonné à eux :

Le soleil touche le seuil de votre demeure
Une fois la porte ouverte, il éclaire votre comportement.

Je leur ai encore suggéré :
Que la pierre n’embellit pas la montagne
Aussi bien que le métal n’est pas une parure pour la pioche.
Sur la paume de la terre se trouve un bijou invisible

Dont la clarté avait ébloui tous les prophètes.
Cherchez le bijou.
Laissez les moments paître dans le domaine de la prophétie.

Et je leur ai donné la bonne nouvelle du bruit des pas du courrier.
De l’approchement du jour et de la coloration des choses
Au tintement de la rose, derrière la haie de mauvaises paroles.

Je leur ai expliqué :

« Le visage de celui qui découvre le jardin dans la mémoire du bois,
Se voile dans le souffle du bocage salé. »
Celui qui contracte l’amitié avec l’oiseau des airs
Dormira du sommeil le plus profond et le plus calme du monde.
Celui qui recueille la lumière sur le bout du doigt du temps


Dénouera avec son soupir le nœud attaché aux fenêtres.

Nous demeurions sous un saule
J’ai détaché une feuille de la branche qui s’était pliée sur ma tête

« Ouvrez les yeux, dis-je, voulez-vous un signe plus signifiant que cela ? »
J’entendais leurs chuchotements :
C’est un mystère, un vrai mystère !

Au sommet de chaque montagne, ils ont vu un prophète
Et ont porté sur les épaules, le nuage de dénigrement.
Nous avons envoyé le vent
Pour les découvrir par la tête.
Leurs demeures étaient pleines de chrysanthèmes,
Nous leur avons fermé les yeux.

Nous leur avons empêché leurs maisons d’atteindre le bout de la branche de l’intelligence.
Nous leur avons fourni les poches d’habitudes.
Nous leur avons troublé le sommeil en le faisant parcourir, dans les miroirs.




***



Appelle-moi.
Ta voix est bonne,
Ta voix est la chlorophylle de cette plante étrange
Qui pousse aux intimes confins de la mélancolie.

Face aux dimensions de cette ère silencieuse,
Moi, je suis plus seul que la saveur d'une mélodie dans le champ de perceptions d'une ruelle.
Viens, que je dise pour toi combien ma solitude est grande.
Mais ma solitude ne prévoyait pas l'attaque nocturne de ton volume,
Et le propre de l'amour c'est cela.

Il n'y a personne,
Viens, dérobons la vie
Et partageons-la entre deux rencontres.
Viens, qu’ensemble nous comprenions quelque chose à l'état de la pierre.
Viens, et plus vite nous apercevrons les choses.
Vois les aiguilles du jet d'eau sur le cadran du bassin :
Elles transforment le temps en poussière.
Viens te dissoudre comme un mot dans la ligne de mon silence,
Viens fondre au creux de ma main le corps luminescent de l'amour.

Réchauffe-moi
(D'ailleurs un jour, dans la steppe de Kâchân, le temps se couvrit,
Il tomba une forte pluie,
Et j'eus froid ; alors, à l’abri d'une pierre,
L'âtre du coquelicot me réchauffa.).

Dans ces venelles obscures,
Moi, j'ai peur du fruit de la multiplication du doute et de l'allumette,
J'ai peur des surfaces cimentées du siècle.
Viens et je n'aurais plus peur de ces villes dont la terre noire sert de pâture aux grues.
Ouvre-moi, porte donnant sur la chute des poires dans cette ère d'ascension de l'acier.
Endors-moi sous une branche loin de la nuit des frictions du métal.
Si l’orpailleur du gisement de matins arrive, appelle-moi !
Et, au lever d’un lilas derrière tes doigts, je m'éveillerai.
Alors
Raconte ces bombes tandis que je dormais, et qui tombèrent.
Raconte ces joues tandis que je dormais, et qui se mouillèrent.
Dis combien d'oiseaux s'envolèrent de sur la mer,
Et dans ce branle-bas des chenilles de tank passant sur un rêve d'enfant,
Au pied de quelle sensation de repos le canari fixa le fil jaune de son chant.
Dis quelle innocente marchandise pénétra dans les ports,
Quelle science découvrit la musique positive de l'odeur de la poudre,
Quelle perception de l'inconnue saveur du pain exsuda des papilles de la prophétie.

Alors moi, telle une foi chaude du feu de l'équateur,
Je t'assiérai au commencement d'un jardin.

.


Sohrâb Sepehri, La sourate de la vision | Au jardin des compagnons de voyage




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