lundi 5 janvier 2015

...dans ce sang pétrir la nuque du vent...


Pour que vous doutiez encore plus de nos origines 
nous vous proposons des corps pour les usines-salut-de-l'humanité 
sans ablutions
des corps tranquilles sur le sable les bureaux de placement 
des corps tannés
              l'histoire tuberculeuse
                          nous autres les chiens les perfides
nous autres au cerveau paléolithique les yeux bigles le foie thermonucléaire
des corps avec des tablettes en bois où il est écrit que le sous-développement
est notre maladie congénitale
                      puis m'sieur
                                puis madame
                                           puis merci


sans oublier notre interminable procession de dents jaunes
et les vappes
notre sang moitié sang moitié arbre
des corps nourris de sauterelles et de pisse de chamelle
nous ne sommes pas
                 même épileptiques
                                dans les grottes de vos Platon
ni dans les contes de Shahrazade
pas dans vos statistiques sur la culture des peuples les maladies
guérissables par bouchée de petite ruine
                                pas
dans vos bilans vos rapports frénétiques sur les grandes et inhumaines certitudes
ni les médailles
ni les cités de jade contre
                    nos refoulements
                                  nos stigmates purulents
nos matrices aboyant sous le vent

pas dans vos traités sur la biologie de l'homme pétrifié
bien que nous ayons
                nos guerres fratricides
                                  et que
                                       nous rêvions de planètes
de ruelles d'arcades de soleils au centre de la terre
(nous connaissons l'aliénation mentale et parlons de civilisations crevées mises à sac)
et que nous vous accordions
au pied des murailles et murailles d'héroïne
les tétanos
les guerres d'estomac et de chacal
pour satisfaire votre esprit calculé sur les dossiers de Rome et du Viêt-nam
vos lunettes de pèlerins nécrophages sur les remparts de Marrakech
nos rumeurs de foule démente mangeuse de caravanes
nos bidonvilles soleil sur soleil et djinns avec des allumettes
les épouvantails de nos fraternités - ah avec des oranges des fusils de siba
ah moi madame arrange vole pas moi monsieur bonne année bonne santé
de toutes petites femmes avec de petites étoiles vertes sur le front
toute la légende pernicieuse de nos diaphragmes
toutes les affres du sang dans un vertige de mosquées-bidon et de frondes
nos corps
        affublés
               de tornades
                         pour conjurer vos corps tronçon
hibernation d'une petite névrose de sable nous-mêmes
sans kasbahs ni idiomes pas méditerranée-démence pas
mémoriser
réenraciner la mémoire
                  cette grotte
                           cette chiotte
                                     cette mort courant les ruelles
pieds et bras tatoués chewing-gum brosses à dents
avec des tas d'usines de phosphates des tas de livres des tas de
rois et ça n'en finit pas de converser dans
                                 des tas d'antres artificiels
pour boire un thé magnifiquement mérité brindilles sésame
et
  à ta santé la foule
bariolée qui changes de cap mais pas de lance
                                    et qui changeras tout
le long de tes pièges à rats
vieux meurtre inconditionnel qui nous aurais donné
                                         contre un revolver
tout un paradis de lubies
empilé sur nos échines mais alors
                           des tas de médinas pleines de coquelicots
jusqu'à faire de nos ossements des vestiges de cités incomparables
l'oiseau
l'oiseau
et les voleurs d'oiseaux

barbare
      l'oiseau comme nos pérégrinations d'un arbre l'autre
jusqu'à l'arbre de violence qui nous passe par le corps
et vos mamelles maîtresses du sang vos mamelles nous n'aimons
pas la ville riant sous cape la ville sangsue non plus ses ères de
nomadismes et les sobriquets du soleil
ce mal foutu soleil qui n'en finit pas de tournoyer et qu'on
chassera à coups de pierre

nous autres
          de timbales sur des nids de serpents pour fraterniser
avec le sang
          recouvrer la mémoire dans un orgasme de lunes comme
ces chameaux tranquilles qui nous envoient leurs saignées sur la
poitrine
(saigne chameau de ton cou délirant)
nous voulons
des chopes de sang qui écume
des caillots gros comme le poing accomplir
des voyages hélant le désert devenu poisson
saigne encore chameau saigne saigne

des cités pour les roses
tandis que les roses ont des crépuscules de Dadès
nous voulons dans ce sang
l'oeil
     l'épée
dans ce sang pétrir la nuque du vent
violenter des seins et poursuivre
la foule jusque dans ta trachée artère
saigne chameau encore encore

nous vous accorderons encore
les conspirations à la barbe de notre sexe
pour compléter votre catalogue de superstitions
                                      des mains
coupées
       désarticulées
des rues tête tranchée où nous avons pressé
toutes les humanités possibles contre nos poitrines terroristes
des rues
       pleines de cris de génisses flagellées d'écritures


Mostafa Nissabouri, Manabboula


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