D'abord, un grand désir m'était venu de solennité et d'apparat.
J'avais froid.
Tout mon être vivant et corrompu aspirait à la rigidité et à la majesté des morts.
J'avais froid.
Tout mon être vivant et corrompu aspirait à la rigidité et à la majesté des morts.
Je fus tenté ensuite par un mystère où les formes ne jouent aucun rôle.
Curieux d'un ciel décoloré d'où les oiseaux et les nuages sont bannis.
Je devins esclave de la faculté pure de voir, esclave des mes yeux irréels et vierges, ignorants du monde et d'eux-mêmes.
Puissance tranquille.
Je supprimai le visible et l'invisible, je me perdis dans un miroir sans tain.
Indestructible, je n'étais pas aveugle.
Tout jeune, j’ai ouvert mes bras à la pureté. Ce ne fut qu’un battement d’ailes au ciel de mon éternité,
qu’un battement de cœur amoureux qui bat dans les poitrines conquises. Je ne pouvais plus tomber.
Aimant l’amour. En vérité, la lumière m’éblouit. J’en garde assez en moi pour regarder la nuit, toute la nuit, toutes les nuits. Toutes les vierges sont différentes. Je rêve toujours d’une vierge.
A l’école, elle est au banc devant moi, en tablier noir. Quand elle se retourne pour me demander la solution d’un problème, l’innocence de ses yeux me confond à un tel point que, prenant mon trouble en pitié, elle passe ses bras autour de mon cou. Ailleurs, elle me quitte. Elle monte sur un bateau. Nous sommes presque étrangers l’un à l’autre, mais sa jeunesse est si grande que son baiser ne me surprend point.
Ou bien, quand elle est malade, c’est sa main que je garde dans les miennes, jusqu’à en mourir, jusqu’à m’éveiller
Je cours d’autant plus vite à ses rendez-vous que j’ai peur de n’avoir pas le temps d’arriver avant que d’autres pensées me dérobent à moi-même.
Une fois, le monde allait finir et nous ignorions tout de notre amour. Elle a cherché mes lèvres avec des mouvements lents et caressants. J’ai bien cru, cette nuit-là, que je la ramènerais au jour.
Et c’est toujours le même aveu, la même jeunesse, les mêmes yeux purs, le même geste ingénu de ses bras autour de mon cou, la même caresse, la même révélation.
Mais ce n’est jamais la même femme.
Les cartes ont dit que je la rencontrerai dans la vie, mais sans la reconnaître.
Aimant l’amour.
Je tourne sans cesse dans un souterrain où la lumière n'est que sous-entendue. Attiré par son dernier reflet, je passe et repasse devant une fille forte et blonde à qui je donne le vertige et qui le redoute pour moi. Elle connaît le langage des sourd-muets, on s'en sert dans la famille. Je ne suis pas curieux de savoir pourquoi on a tiré sur elle. La balle est restée près du coeur et l'émotion gonfle encore sa gorge.
Et nous roulons en auto dans un bois. Une biche traverse la route. La belle jeune fille claque de la langue. C'est une musique delicieuse. Elle voudrait voir la couleur de mon sang. Ses cheveus sont coupés à tort et à travers, un vrai lit d'herbes folle qu'elle cache. Quelqu'un près de moi désire confusément fuir avec elle. Je m'en irai et je m'en vais. Pas assez vite pour que, brusquement, je ne sente sa bouche fraîche et féroce sur la mienne.
Paul Eluard - Les dessous d'une vie ou La pyramide humaine
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