Au Docteur et à l'Ami Methqal
Arbre magique et vénérable, tes racines forent le roc et
scellent avec la terre un pacte irrévocable ; tu es le végétale le plus résistant et sans doute le plus beau. On ne saura jamais ton âge réel ni si tu es issu d’une
comète ancienne ; tu recouvres les versants montagneux de ta splendeur
incomparable – tu es puissant et capable de surmonter les assauts des chèvres et
des criquets qui te dépouillent de tes feuilles pareilles à des paillettes d’émeraude
quand le soleil insuffle à ton murmure inaudible l’onde irisé de l’arc-en-ciel : un langage mémorable sourd de tes fibres et de tes branches
où le rat palmiste cueille des noix d’ambre qu’il enfouira pour que tu te
perpétues à l’infini ; toi qui défies le temps, les intempéries, les
canicules et la main de l’homme.
Maître incontesté du Sud, on t’appelle Arganier mais nul ne
sait ton véritable nom ; peut-être l’oued asséché le sait-il qui dit au
laurier rose la gravité de ta sombre parure. La cigale et la tourterelle, indifférentes aux vicissitudes
terrestres, chantent ta beauté car tu les soustrais au danger en ta feuillée
impénétrable. Cet hôte qui gîte en tes racines externes, c’est le naja
solitaire dont le sifflement aigu module la clarté fugace des songes diurnes ; été comme hiver, ton ombre s’allonge jusqu’au piémont comme
pour instruire le mouflon de l’imminence d’une mort brutale ; - le chasseur qui t’avait déraciné en masse pour bâtir un
palais de rêve là où tu avais vécu depuis Noé est tombé du mont frappé d’une
vengeance atroce ; - il est écrit qui quiconque t’égratigne encourt les foudres
telluriques ; mais tu n’es pas toi-même ce dieu vindicatif qui broie les
armées dans un éclair intense.
L’Esprit pur des vastitudes inconnues t’anime et chaque
lettrine du ciel est une étoile brillante qui te conte l’histoire du Chaos
crucial ; les Anciens te disaient Génie tutélaire, protecteur des
hommes et des bêtes ; ils t’aimaient et te vénéraient, ceux-là qui se
nourrissaient de cette huile rouge et parfumée que ton amande amère sécrète
lorsque l’été culmine au zénith ; aucune tempête ni chergui ne peuvent démanteler ta couronne,
arbre plus dur que le granit et l’agate ; jeune ou vieux, tordu ou élancé, tu illumines la rocaille d’une
aura que seuls distinguent les anachorètes ; c’est ton essence immatérielle qui frémit au fond du puits
et dans la gorge du troglodyte ; ton idiome inscrit dans les grimoires sacrés qui pare le
scarabée bleu de l’éclat des gemmes légendaires.
Vieil Arganier, je te salue du tréfonds d’un monde qui ne
connaît de toi que les cosmétiques extraits de ton amande ovale.
Mohammed Khaïr-Eddine, L’Arganier
Magnifique texte en hommage à cet arbre incroyable. Roger Caillois aurait aimé vous lire. J'ai découvert l'Arganier en compagnie de mon ami Juba dans les montagnes au sud d'Essaouira. Des chèvres agiles et têtues y grimpaient pour en déguster les baies. Votre texte rend hommage et justice à cet arbuste dont les Occidentaux ne connaissent que l'huile utilisée pour des cosmétiques sans jamais s'interroger sur sa beauté et sa vénérable vétusté. Merci. Liliane Breuning
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Liliane - vous êtes encore une fois très généreuse. Khaïr-Eddine est, avec Nissabouri, le poète marocain francophone que je préfère : verbe-éclat rendant vivant le réel sur lequel il pose son regard d'aigle-enfant, jusqu'à atteindre cet au-delà du réel (et du vraisemblable, du mesurable, du comptable) qu'est le vrai - souffle d'éternité en quête perpétuelle de son respirant.
SupprimerJe regarde souvent (très souvent) le fil de votre regard - il y a une sublime enfance, toute en lumière, à saisir et à faire sienne.
Merci - d'être